Publié le 3 décembre 2011
naissance inopinée
Robert Escande
«Tu T’y connais un peu Toi en accouchemenT
?»
Dans son roman, Robert Escande raconte son quotidien
de médecin généraliste dans la campagne
ardéchoise. A travers le récit d’un accouchement, il
évoque la fermeture progressive des maternités de
proximité à la campagne. Extraits (1/2)
Dans tout récit épique d’un médecin de campagne
digne de ce nom, il y a toujours un accouchement.
Nombreux sont les généralistes confrontés à
cette situation pour laquelle, il faut l’avouer, ils
ne sont pas toujours bien préparés. Ayant mis
au monde mes quatre enfants, sans compter l’expérience
acquise au cours de mon stage en maternité
à l’hôpital de Salon de Provence, je n’avais pas
d’angoisse particulière sur le geste en lui-même.
Quand tout se passe bien, c’est un geste naturel, les
femmes accouchaient des milliers d’années avant
l’invention de la médecine.
Mais je me suis toujours méfié des circonstances.
C’est une chose que d’assister à une naissance
dans les locaux rassurants d’un service d’obstétrique,
quand tout le matériel est présent et
les compétences rassemblées pour faire face à
toutes les situations. Mais s’en est une autre de
faire accoucher une patiente chez elle ou dans
une voiture. Les complications à craindre ne sont
heureusement pas fréquentes, mais si le nouveau
né souffre d’une hypoxie par exemple, c’est toute
sa vie qu’il traînera des séquelles neurologiques
graves. Malgré quelques demandes, je n’ai jamais
voulu planifier un accouchement à domicile. Si
cette éventualité devait un jour se produire, nous
l’assumerions sans plus d’angoisse que cela, mais
je ferais toujours de mon mieux pour que mes patientes
arrivent en bonne forme à l’hôpital avant
de commencer le travail.
Bien entendu, j’ai été confronté à des accouchements
inopinés. Je ne parle pas du dernier en date
à l’époque où j’étais encore urgentiste à Aix en Pro
vence. Ma brave patiente, maghrébine multipare,
m’avait elle-même tendu le bébé dans l’ambulance
avec un large sourire. A Saint-Etienne en Montagne,
il fallait forcément que cela soit plus spectaculaire.
Comme il se doit, le cadre de l’action devait se dérouler
de nuit, sous la neige, chez une patiente qui
attendait des jumeaux et qui, bien avant son terme,
venait d’avoir une hémorragie gynécologique cataclysmique.
Le papa, après avoir déclenché
l’alerte, avait définitivement tourné de l’oeil et
ne réapparut que le lendemain.
Après avoir déclenché le plan « ORSEC » local de secours
à personne, je demandais une jonction SAMU.
Comme à mon habitude, j’accompagnais ma patiente
dans l’ambulance après l’avoir perfusée, peu rassuré
par l’abondance de la spoliation sanguine initiale.
A la jonction de la VLTT, le véhicule qui convoyait
le médecin urgentiste de l’hôpital d’Aubenas toutes
sirènes hurlantes, et de notre VSAB, mes illusions de
pouvoir vite retrouver mon lit douillet s’évanouirent
en une phrase :
-« Salut Robert, dis moi tu t’y connais un peu toi en
accouchement, parce que moi je n’en ai jamais fait,
alors tu penses une grossesse gémellaire ! »
Je lus dans les yeux suppliants de ma patiente qui
n’avait pas perdu un mot de notre bref échange
que mon voyage allait se poursuivre jusqu’à son
terme. Le médecin urgentiste était un rhumatolo
gue, d’ailleurs fameux, qui arrondissait ses fins de
mois en prenant quelques gardes au SAMU. C’est
tous ensemble que nous sommes arrivés à la clinique
du Vivarais, qui était à ce moment là encore pourvue
de son service de maternité. Nous avons mis
au monde, sur le brancard du couloir des urgences,
deux magnifiques petites filles.
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Publié le 3 décembre 2011
«Tu T’y connais un peu Toi en accouchemenT ?»
Depuis, l’administration, soucieuse de ses éternelles
statistiques, a décidé qu’en dessous de 400
accouchements par an, elle allait fermer toutes
les maternités de proximité « pour raison de sécurité
». Une manière tout à fait schizophrénique
d’avoir un discours théorique qui se pare de vertu,
pour cacher des réalités beaucoup moins romantiques
de taille sombre dans les budgets de fonctionnement.
Une maternité qui pratique 300 accouchements
sera fermée, alors même qu’elle n’a jamais
eu à déplorer le moindre incident, au profit d’une
autre plus grande, indépendamment du nombre de
plaintes ou du taux de mortalité néo-natale.
Quand ces textes de loi seront véritablement
appliqués, après avoir fermé les maternités
d’Aubenas, de Mende, et du Puy en Velay, il ne
restera aux futures mamans de Saint-Etienne en
Montagne que la possibilité d’aller accoucher à
plus de 100 km de leur domicile, avec les conditions
de circulation qu’on connaît. Peu importe
le nombre de patientes et de bébés qu’on perdra en
route. L’administration, pour notre bien à tous, ne
raisonne qu’en termes de statistiques comptables,
d’économies de bouts de chandelles, qui n’en sont
pas quand on intègre tous les coûts. La politique n’y
changera rien, c’est l’ENA qu’il faut interdire, les
droits de l’homme qu’il faut sauver, la « Marseillaise
» qu’il faut réécrire.
Extraits de Médecin, quand reviendras-tu ?, Editions
Baudelaire (12 mai 2011)
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